Jeune Homme,
Un étrange dialogue. Celui d’une mère avec sa fille à l’occasion de la fête des mères. C’est ma lettre à toi.
11: 30 du matin à l’église en ce dimanche des mamans, une cohorte de jeunes, n’ayant pour armes que des roses de toutes les couleurs, envahissent l’enceinte de l’église à la recherche de leur maman respective. C’est le jour du “Show”, le jour du “Feel Good”, le jour de la reconquête. C’est aussi le jour du conflit.
Toutes les mamans reçoivent ce jour-là des roses et des cadeaux de la part de leurs enfants. Les enfants sans mamans dont le cœur est profondément attristé n’ont rien donne. Là-bas, dans mon pays, les enfants orphelins de mère portent, attachées sur leur poitrine, des cocardes de couleurs noire ou blanche qui disent à tout venant que leur maman est morte. Les femmes sans enfants ayant l’âme endolorie n’ont rien reçu. Ce jour des mères a laissé dans la bouche de ces deux groupes – les enfants sans maman et les femmes sans enfant – un goût âcre. Admettons-le aussi que ce jour a ouvert des plaies qui ne se guérissent pas facilement.
Josie, la fille de 19 ans, est arrivée à la maison deux heures après le service dominical. Comme toujours, elle était restée à parler avec ses amies. En général, elle parle de tout ce que les jeunes filles de son âge se disent entre elles. Mais ce dimanche, c’était différent. La conversation portait sur le sujet du jour: la fête des mères.
Tu sais, il y a une tendance en vogue qui veut que l’on ne mette pas en cause les acquis. La fête des mères est un acquis qu’on doit sauvegarder inconditionnellement sans la discuter. Si elle fait du tort à certains, peu importe. Son origine nous est égale. Ce qui est important, c’est qu’elle apporte du plaisir, de la satisfaction, beaucoup de cadeaux, de fleurs et du chocolat. On se fout pas mal du reste. On veut s’assurer que tous les secteurs de la société s’y accommodent. Pas de réfractaires!
Arrivant à la maison, Josie court dans la cuisine, cherchant quelque chose à manger. Mais rien n’est prêt encore. Elle ne voit même pas sa mère qui est couchée sur le canapé-lit dans le salon.
“Josie! Tu es la?” dit la mère d’une voix enrouée. On dirait qu’elle pleurait.
“Oui, je viens d’arriver” répond Josie qui feint de n’avoir pas remarque le changement dans la voix de la mère. “Y-a-t-il quelque chose à manger? Tu ne cuisines pas?”
“Aujourd’hui, je n’ai rien préparé à manger. C’est la fête des mères!” dit Talita, “j’espérais que tu m’emmènerais au restaurant”
Talita est âgée de 45 ans; elle est mariée et a deux enfants: un garçon de 21 ans qui étudie Science Po a l’université de Michigan, et Josie, en première année à la Faculté de Saint Pierre. Son mari fait le va et vient entre Haïti et les Etats-Unis depuis tantôt 10 ans. Cette allée et venue du père engendre un peu d’instabilité dans le foyer. Talita en fait les frais. Elle travaille près de 60 heures par semaine pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle est une brave mère qui s’assure que son foyer fonctionne de façon à faire taire les ouï-dire. Elle soupire après une compréhension qui ne viendra jamais: son mari joue son rôle paternel qu’à temps partiel, ses enfants ne se soucient guère de sa personne, ils ne cherchent pas à établir le lien affectif; ils sont insensibles, ils ne voient en Talita qu’un objet d’exploitation.
“Mais, voyons Talita, tu es folle! tu espères que je t’emmène au restaurant aujourd’hui. Je n’ai pas d’argent à jeter par terre moi. Je t’ai donnée des fleurs à l’église. C’est tout ce que tu mérites.’
Au fond du cœur de Josie, elle reconnait que sa mère ne mérite même pas ces fleurs. Certes, elle ne pourra jamais dire pourquoi. Elle ne sait pas pourquoi d’ailleurs. Des actions du cœur que la logique n’arrive pas à expliquer.
“Je ne les mérite pas! Et pourquoi tu me les a données?” rétorque la mère.
“Je ne sais pas. Peut-être par influence. Certaines de mes amies font le même geste à l’égard de leur mère. Vraiment, l’amour n’a rien à voir dans tout cela.”
Face à cette froideur de la part de sa fille, Talita se sent désarmée. Elle tomba en sanglot
“Mais ma fille, pourquoi avoir pareille attitude vis-à-vis de ta mère? Qu’est-ce que je t’ai fait? Je ne t’ai jamais rien demande. Pourquoi es-tu si hostile à moi, ta mère? Pourquoi es-tu si cruelle? Je t’en prie: un peu d’amour! Un peu d’amour!”
Un cri dans le désert qui résonne certes, mais l’effet escompté sur le sujet semble être nul. Josie ne bronche pas.
“Je suis confuse. Et la cause de ma confusion n’est autre que toi et tes coreligionnaires. Tu m’as appris à ne pas célébrer la fête de Noel sous prétexte que cette fête païenne n’a rien à voir avec le Christ-Sauveur. Je l’avais cru…
“Je me rappelle les concerts de Noel à la télé au cours desquels des artistes de tout genre performaient. Je croyais que ces acteurs qui performaient étaient des chrétiens performant pour la gloire de Jésus, le Divin incarné. Mais, ce n’était pas le cas. C’était un show commercialisé, orchestré et patronné par un establishment qui utilise le beau nom du Sauveur à leur propre profit matériel. Tout cela n’était que songe et mensonge… Pourtant, vous voilà maintenant célébrant cette fête de “Tonton Noel.” Hier encore, elle était païenne. Aujourd’hui, elle est chrétienne. Ici, on fait face à une crise de conviction. Ou l’église se paganise ou le monde se christianise. Je doute que le dernier se christianise vraiment vu qu’il s’écarte à grands pas de tout ce qui entre dans la volonté de Jéhovah Dieu. Toi et tes coreligionnaires, vous marchez par la vue, vous recherchez la popularité, vous suivez le courant, vous allez avec le flot. Si la fête de Noel était à célébrer, Le Seigneur nous l’aurait dit, l’Eglise apostolique l’aurait fait…
Mon père m’a appris à considérer à grand cœur ton anniversaire de naissance. Ce que j’ai fait sans coup férir, car, je comprends le bon usage d’une telle activité. Tu es ma mère, je remercie le Seigneur de t’avoir mise sur terre. Ta date de naissance n’est pas une imagination. Alors, je te célèbre….
En ce qui concerne la fête des mamans, vraiment ça m’est égal que tu pleures, que tu piaffes… moi je ne pirouetterai pas. On appelle cela conviction chère maman.”
D’un bond Talita se reprend, se relève du sofa, essuie ses yeux et s’assit à son aise. Elle regarde Josie pendant quelques bonnes secondes. Elle dit enfin: “Tu as peut-être raison ma fille, je ne mérite rien de toi. J’ai passé une bonne partie de ma vie à travailler durement pour te donner une solide éducation. Je confesse que je t’ai négligée un peu. Mon crime? C’est peut-être de travailler un peu trop pour pouvoir subvenir aux besoins de cette famille. Josie, pour maintenir cette maison, ça coûte. Pour sauver les apparences, i-e pour garder l’impression que nous projetons autour de nous dans cette communauté, je dois me sacrifier. Quand enfin vas-tu comprendre tout cela? La considération que tes amis ont pour toi, l’estime qu’il te montre, ce n’est pas parce que tu es une belle fille, ni parce que tu viens d’une grande famille. Non, loin de là. Cette société est une société capitaliste qui valorise le matériel. L’argent en est le moteur. Sans argent, cette société ne marche pas. J’ai réalisé très tôt qu’il nous faut de l’argent pour que ça marche pour nous. On est respecté quand on a de l’argent. On siège au premier rang dans l’assemblée. On est honoré. On est regardé avec estime. J’avais compris tout cela, et je m’étais décidée à faire respecter ma famille en agissant légalement et moralement, en travaillant durement pour nous procurer l’essentiel. Je sais qu’il y a des personnes qui font n’importe quoi pour avoir de l’argent. Une telle approche est chrétiennement inappropriée. Moi, j’utilise la sante et le courage que notre Seigneur m’a accordés pour travailler et procurer ce dont nous avons besoin. Pardonne si je t’ai fait du tort en te privant parfois de mon temps. Mais c’était pour une bonne cause. Toutefois, en observant ton comportement à mon égard, j’ai l’impression que j’ai commis les sept (7) péchés capitaux. Un peu d’amour ma chérie! Un peu d’amour! Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour toi et pour ton frère. Comprends cela, je t’en prie. Ne me jette pas les pierres dessus. Je ne suis pas un adultère.
Tu m’accuses d’être un “flipflaper”. Tu as peut-être raison. Parfois la loi de la survie pousse à être “flipflaper.” Il faut s’adapter. Ceux qui s’obstinent à faire le contraire est un imbécile…”
Un long silence s’impose dans la maison, un silence pareil à celui qu’on rencontre quand on franchit l’enceinte d’une Eglise Catholique! Mais comme ce silence est quelque fois interrompu par le bruit des carillons, alors Josie l’interrompt avec un rire à la fois ironique et sonore:” Les adultes pensent qu’ils ont toujours raison. Ils cherchent à excuser leurs bévues par des raisonnements saugrenus. I am tired of it. We’re all humans; we make mistake. Aujourd’hui on est contre, demain on est pour. Aujourd’hui on est à gauche, demain on est à droite. Je ne pense pas que Jéhovah Dieu partage cette façon de faire. Celui ou celle qui dirige d’après la position de la majorité risque d’attirer le jugement divin sur lui. La parole de Dieu n’est pas une formule tout faite qu’on applique à tous les problèmes pour défendre son intérêt. S’il en était ainsi, tout serait songe et mensonge…
“ Mère, c’est vrai que tu es plus religieuse que mon père, mais il arrive que je le trouve plus sincère et plus vrai que toi. Il n’est pas un flipflapper, il fait montre de conviction. Les leaders soit disant religieux qui défendent leurs propres intérêts passagers en bluffant, en zombifiant, utilisant le beau nom de Jésus, n’arriveront jamais à yoyoter mon père. De plus, il ne croit ni dans la polémique ni dans la compétition. Il vit sa vie pour son Dieu, sans démagogie. Il rit des politiciens, surtout des politiciens religieux qui font des assemblées soit disant chrétiennes des “Battle ground” pour avoir le pouvoir et l’exercer sur une masse inculte qui n’arrive pas à déceler leur supercherie. Mon père le dit bien: “ils ne sont pas des bergers qui veillent sur ou prennent soin de la bergerie, mais ils ne sont que des hommes d’affaire qui s’assurent que la recette est bonne.”
“Moi, comme mon père, je déteste ce statu quo qui est édifié sur l’hypocrisie. Je ne veux pas en être victime. Ce statu quo est une jungle ou la loi de la survie prévaut sur la loi de l’amour, ou la vérité est cachée sous la table et le mensonge visiblement sur la table contrôle la discussion “
Josie se tait tout en espérant une réplique de sa mère qui pourtant garde un silence de réflexion profonde. Talita ne dit mot. Pour la première fois peut-être, les propos de sa fille entrent en elle comme une dynamite qui fait exploser une forteresse. Ou peut-être qu’elle se dise que la meilleure position à adopter vis-à-vis de sa fille qui serpente encore le chemin de l’idéalisme, c’est de garder le silence tout en laissant le temps de poursuivre son travail de transformation dans le cœur de l’idéaliste Josie…“On est tous appelé à changer de position pour défendre son intérêt. Le président pareil au pasteur le fait; le roi à la manière de l’homme d’affaire agit de même…” pense la mère.
Rien n’a changé pour l’instant: La fête des mères ne devrait pas être célébrée dans l’Eglise chrétienne pour Josie. Elle s’accorde avec son père pour une fête des parents où le père et la mère seront également célébrés, sans discrimination. Ce sera là un modèle chrétien. On n’aura pas à imiter le monde païen et ses rituels qui remontent à Rhéa ou Cibele, Fille du Ciel et de la Terre, ou Mère des dieux païens, comme Zeus. Il est temps, pense-t-elle, que l’Eglise s’attache aux paroles du Christ-Sauveur, non aux mythes et traditions païens. J’ai peur que l’Eglise se paganise. Et la faute est aux faux leaders qui préconisent la popularité plutôt que l’obéissance aux préceptes divins.
Pour Talita, cette fête est un acquis pour toutes les mamans chrétiennes qu’il faudra sauvegarder peu importe son origine. D’ailleurs, les leaders de l’église partagent cette vision. Alors, Josie et son père peuvent philosopher autant qu’ils veulent. Rien ne changera.
En fait, quand la substance s’absente, le superficiel prédomine, se manifeste en pompe, et on est tous tombé dans le singulier.
Ton père Jena