L’une des grandes démarcations de l’homo sapiens vis-à-vis de ses ancêtres eut été son aptitude à élaborer des idées plus ou moins rationnelles de variables élogieuses pour la construction d’une société pérenne. Des variables comme la justice, la vérité, et l’égalité. Des points d’ancrage auxquels toute société avisée priorise pour une construction parfaite à son élan. À mon humble avis et sans désir de critique du plagiat, je crois que Paul Valéry en a même tiré leçon en disant « le plus grand acte, c’est celui de construire.» Donc, tout vrai modèle de construction passe par cette trinité, symbole d’une devise à laquelle il nous faut nous rattacher. De là, peut-on prôner le salut d’Haïti sans appréhender parfaitement ces variables ? Si la question nous laisse dubitatifs, elle irrigue amplement nos opinions quant à la volonté réelle chez nous vers ce rêve tant nourri.
Franchement, j’ai amplement en dégout les débats publics, car souvent la sémantique des mots nous fait défaut jusqu’à nous soumettre à des acrobaties pures et même des vagissements langagiers. Faut-il cesser de parler, discuter, thématiser, opiner… ? Loin de là, car la bonne démarche à une construction collective emprunte a priori ce hub, avec comme objectif un momentum pour l’élan collectif. Faut-il croire au salut d’Haïti dans cette arène où les vraies raisons de l’homme politique sont diluées et dénaturées ? Faut-il penser à une construction rationnelle de ce pays là où la logique a perdu son usage ? Peut-on faire d’une utopie une réalité sur cette terre d’imprévoyances ? Toute une pléiade de raisonnements nous poussant jusqu’à l’extrême. Mais là encore, c’est dans une telle effervescence collective que fort souvent l’étincelle de la vérité émerge. Nous avons toutes les raisons à croire en notre rêve, aussi tous les doutes du monde pour un tel exploit. Il y aura toujours foi et doute à un changement réel sur la terre Dessalinienne, prémisse de la liberté nègre. L’épicentre des idéaux pour un élan à la justice sociale de l’homme en tant qu’être, appelé à être libre et maître de ses choix. Si doute s’annexe à telle alternative, c’est justement le fruit de notre entêtement à la déconstruction de l’homme haïtien. Dans ce cheminement dont l’objet final aboutira indubitablement à autre chose, autre que nous-mêmes, réintégrer les causes fondamentales à une telle déchéance dans l’équation s’avère impératif. Pourquoi une telle dérive populaire ? Comment est survenu ce drame national et même Trans générationnel, car à tout drame existent bien des causes. Et si celles-ci sont multiples, elles se résument ainsi : une perte de soi. Car avant tout, l’haïtien est tiré de l’obscurantisme esclavagiste à la recherche de la lumière. Celle qui met en exergue les vraies raisons à l’émancipation de l’homme. Pour reprendre la critique Kantienne, nous avions à un certain temps fait usage du Sapere Aude pour élaborer notre identité d’êtres, d’humains, de peuple pour un affranchissement glorieux de la servitude. Car en tant qu’hommes, nous avions et avons aussi droit à la liberté, l’égalité et la justice. Car tout homme est un homme, ayant les mêmes droits, partout et en tout. Cette logique idéale à l’être, utilisée chez nous dans un passé bicentenaire, parait plus que lointaine. Comme quoi nous nous sommes écartés de nos sens vrais. Cette perte de soi n’est pas le fruit du hasard, bien au contraire, un processus long ayant abouti à cette manifestation populaire, nationale, où l’haïtien est devenu son propre mal, son ennemi.
Ainsi, chez nous, toute démarche vers une nouvelle Haïti s’effiloche pour se révéler désuète, obsolète, pourvue qu’elle est endogène. Alors que toute idée exogène emprunte chaleureusement les couloirs du concret. Or la grande majorité de ces idéologies externes ne visent qu’à nous soustraire de nos droits les plus fondamentaux, nos ressources les plus essentielles, nos valeurs les plus utiles jusqu’à vouloir annihiler ce qui donne à l’être humain son essence propre, la liberté. Celle-ci au fait se maintient dans une perspective idéaliste où elle soumet l’homme à des responsabilités. Car être libre, c’est être aussi responsable. Fort souvent, l’acquis Dessalinien est repris dans des discours amorphes, dénués de tout fondement rationnel, incapables à pousser l’haïtien à repenser à ses responsabilités de base. Celles qui lui imposent à sauvegarder cette liberté, son territoire, sa culture et son essence. Dans cet imbroglio national, apte à devenir l’effigie d’un peuple, la culture d’une civilisation, l’impératif à soulever si possible la conscience haïtienne est de mise. Toute libération vraie et productive d’Haïti chemine dans la reconquête de l’haïtien qui passe inévitablement dans la reconstruction du citoyen lui-même. Voyez bien, l’objet actuel n’est plus de le construire, car antérieurement, l’haïtien fut. Mais plutôt de le reconstruire parce qu’il n’est plus. Cette gigantesque démarche interpelle notre conscience même dans sa plus simple forme. Aussi brute qu’elle soit, sa participation est plus qu’essentielle. Elle est vitale à notre patrie. Cette interpellation seule pourra nous convaincre à nous rapprocher et étaler dans l’agora les briques fondamentales à l’étalement de la nouvelle Haïti. Celle qui ne s’élaborera pas sous le regard des Forces Onusiennes, non plus des labos de l’occident, encore moins des partenariats économiques avec l’Asie, mais d’un soulèvement intérieur où l’haïtien se sent seul maître de son propre destin. Point besoin de se lamenter. Personne d’ailleurs ne voudrait nous voir sortir de ce labyrinthe, car la misère d’Haïti fait le bonheur de certains. Nos périples justifient tout acte d’asphyxier la liberté à d’autres peuples. Si l’haïtien n’arrive pas à se construire au regard de ses propres valeurs, toute alternative vers son lendemain débouche inévitablement sur le chaos. Il nous faut donc choisir de nous réinventer dans une dignité d’actions aptes à nous garantir l’honneur et le respect. Car seuls les choix changent les choses et les hommes. Nous sommes en réalité la résultante de nos choix, aussi irrationnels qu’ils soient de nos jours. Des choix de jouer à la bassesse plutôt qu’à élever notre dignité de peuple, de citoyens, d’hommes appelés à jouir pareillement aux autres devant les lois et les règles internationales. Des choix qui nous attirent l’hostilité et le dégoût en dehors de nos frontières. Des choix qui malgré toutes leurs retombées négatives continuent de frayer paisiblement, sans soupir de la conscience citoyenne, leur chemin chez certains. Des choix qui nous tuent et nous forcent à accepter l’affront, l’ignominie faite à notre société.
Et s’ils nous pénalisent ardument, pourquoi ne pas y renoncer ? Pourquoi œuvrer aveuglement dans une telle aventure, car la dérive d’un haïtien est celle de tous les haïtiens. Tout comme la dérive d’un homme est celle de tout homme. Dans cette vision quantique des malheurs de l’homme, idem pour son bonheur, l’homme haïtien doit s’ouvrir à l’intrication. De là, il voit le malheur d’autrui comme le sien, pareil pour son bonheur. Vision qu’il s’offrait antérieurement, mais disparue sous l’éclat des malheurs importés, des discours extérieurs sans fond, des idéologies à visée colonisatrice. On ne peut se lancer à la poursuite du bonheur sans créer cette paix intérieure, rétablir cette fierté d’homme chez nous, ou encore sans la matrice citoyenne. Celle qui nous rend différents des autres, sans nous enlever notre dignité d’homme, laquelle nous fait défaut actuellement. Donc, notre salut découle obligatoirement de la démarche constructive de l’homme haïtien où notre quête constante s’irrigue dans une perspective de nous réaliser dans nos valeurs, notre culture, notre essence même de peuple.
Rappelons-le, nous sommes les seules vraies victimes de la déchéance actuelle, donc les seuls capables d’exprimer nos souffrances en leurs propres dialectes de façon précise et objective. La sévérité de notre malheur résulte de notre incapacité à créer cette alternative où tout un chacun a le droit et l’obligation de participer activement dans cette élaboration collective tant souhaitée. Il n’est aucun doute que cette liberté sociale, économique et politique tant désirée ne peut s’acquérir sans la responsabilité collective. Être libre, c’est se responsabiliser envers soi-même, autrui et la société. Donc, la reconstruction d’Haïti, matérielle ou immatérielle, impose d’emblée la reconstruction de l’haïtien, hub salutaire à son devenir tant souhaité. Ainsi, responsabilisons-nous pour la reconstruction de notre patrie. Rêver d’un avenir meilleur à Haïti, c’est généreux comme idéal, mais la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent.